Le Pont de Chemin de Fer
La ligne Morlaix Roscoff
La commune de Henvic est aujourd’hui bien desservie depuis la mise à 4 voies de l’axe routier Morlaix St Pol, (D58), mais si la construction du Pont de la Corde, en 1927, a désenclavé notre presqu’île, l’ouverture au monde moderne s’est surtout faite grâce à l’arrivée du Chemin de Fer.
Le territoire de Henvic est en effet traversé par la ligne de chemin de fer Morlaix-Roscoff. Le train, qui a joué un rôle prépondérant pour la vie économique de toute la région, et qui s’arrêtait à la Halte de Kérichard, avait été remplacé par un autorail qui y circulait encore régulièrement, il y a quelques mois.
Un TER avait « repris du service », et l’association « A Fer et à Flots ». organisait régulièrement un circuit pour découvrir la région en bateau et en train. Ce circuit, commenté, proposait une Découverte du Pays et de la Baie de Morlaix en train et en bateau. Le trajet « aller » se faisait en train, et permettait d’admirer les superbes paysages de la ligne Morlaix-Roscoff, et le trajet « retour » s’effectuait à bord d’un bateau, qui remontait toute la rivière de Morlaix.
Des inquiétudes existent quant à l’avenir de cette ligne Morlaix Roscoff. Un orage a détruit quelques mètres de voie au début de l’année 2018… Malgré les pétitions qui sont mises en place régulièrement, pour tenter de sauver cette ligne… les élus des Communautés de communes ne sont pas favorables à la remise en état. Verra-t-on encore un train y circuler ?
Ce lieu a pourtant joué un rôle prépondérant depuis sa construction en 1882. Notre petite gare de Henvic-Carantec a été témoin de tant de départs et d ‘arrivées… Elle a vu partir nos soldats pour la guerre, et elle les a vu revenir moins nombreux… Elle a vu arriver les premiers engrais, les « guanos » que faisait venir le « Syndicat », et qui ont révolutionné l’agriculture. Elle a vu débarquer des générations de touristes venant en vacances dans les hôtels et les villas de Carantec, et elle a vu partir combien de jeunes contraints d’émigrer vers Paris ou Le Havre, faute de pouvoir trouver du travail dans la région… Les exportations massives de légumes se faisaient par la gare de St Pol de Léon, mais il faut savoir que le saumon, qui était encore très abondant dans la Penzé, et qui était pêché avec de grands filets en forme de demi-lune, était expédié depuis la « Halte » vers les restaurants parisiens. Le poisson était emballé dans de la paille.
Le Pont en construction
Jusqu’en 1981, le train a donc rythmé la vie de nombreux henvicois, et nuit et jour on pouvait entendre, selon la direction des vents, le sifflement sur les rails, et le bruit sourd des lourds convois de légumes, résonnant sur le pont de chemin de fer, puis gravissant la pente vers Taulé.
L’histoire de la construction de cette ligne, ouverte le 10 juin 1883, a été écrite par M. Louis Chauris.
La mise en place du tablier
Après la mise en service de la ligne Paris-Brest en avril 1865, il devient important d’y rattacher les villes délaissées de la côte, comme Roscoff. Dès 1870, à la demande du Conseil Général du Finistère, des études sont menées. L’utilité de la future ligne est vite prouvée, en raison de l’importance de la pêche et la culture des légumes dans a région. Le tracé retenu descendra de Taulé, pour franchir la Penzé à Goasquelen, sur le fameux « Pont de Fer ».
C’est le 7 avril 1872, que ce projet est évoqué pour la première fois, au Conseil Municipal de Henvic. A l’unanimité, le Conseil apprécie « les avantages qu’il y aurait pour les habitants de Henvic et de Carantec, à avoir ce chemin de fer ».
Mais le budget de la commune ne permet pas d’avancer le montant de la garantie demandée. Un étalement de la dépense sur 10 ans est accepté.
Des conditions sont cependant posées. Le Conseil demande que soit faite une voie charretière sur le Pont Viaduc de la Penzé, sur le côté droit du pont, en allant vers St Pol ». Cela ne se fera pas, car on commence aussi à envisager la construction du Pont de la Corde… Il est également demandé que « la station Taulé Henvic, indiquée sur la notice de l’Ingénieur, soit établie le plus près possible du bourg de Henvic ». Il faut aussi que « les passages à établir sur les chemins de la commune et aux abords des fermes soient arrêtés de concert avec l’autorité municipale ».
Cet énorme chantier va créer de nouveaux métiers, des employés au chemin de fer, des poseurs de rail, des garde barrières, comme Olivier Alain, à la « maison de garde » de Kervor, Plusquellec François Marie, à celle de Kerdanet, Kerrien Marie Jeanne à celle de Kerichard et Bohic Yves à celle de Kerblais. Ce dernier est marin, et c’est sans doute sa femme qui lève les barrières.
Une nouvelle profession apparait aussi dans les registres de Henvic, mais elle sera très éphémère! En 1872, on assiste à l’installation de 3 aubergistes, Gabriel Castel, Yves Saluden, et Jean Brezel. Le nombre passe à 4 aubergistes en 1876. Puis on voit leur nombre passer soudain à 10, en 1881. Ces « auberges » sont situées dans le bourg, et aussi le long de la voie ferrée, comme à Kervor. Le chantier de construction des voies, et des ouvrages d’art, nécessite alors des hébergements. On peut bien sûr imaginer que ces hébergements des ouvriers ne sont pas des chambres « 4 étoiles », et que ce sont tout simplement des fermes où l’on propose un couchage sur la paille, dans une grange! Dès la fin du chantier, ces auberges disparaissent.
Construction d’un pilier du pont
Le Réseau Breton, qui se construit au même moment, est réalisé en voies métriques, mais le choix se porte sur la réalisation d’une voie normale, afin d’éviter les transbordements des marchandises en gare de Morlaix. Les 25 km de la construction de la ligne vont nécessiter l’exécution de nombreux ouvrages d’art et, en particulier, l’édification d’un grand viaduc pour franchir la Penzé, entre Henvic et Plouénan, sans compter la construction des gares et des maisons de gardes-barrière liée à la densité de l’habitat rural.
Un train de marchandises
tiré par une locomotive à vapeur
La ligne ne comporte qu’un seul grand ouvrage d’art, nécessité par le franchissement de la Penzé. Le pont enjambe la rivière dans sa partie maritime, et offre aux voyageurs une vue splendide sur toute la vallée.
« Le viaduc de la Penzé présente une silhouette très caractéristique, marquée par son tablier métallique à treillis de 6 mètres de haut (fabriqué par l’entreprise Le Brun à Creil (Oise) en 1882, ainsi que le précise une plaque apposée sur l’ouvrage), reposant sur trois piles en maçonnerie très élancées et deux imposantes culées est et ouest, également en maçonnerie. Il est constitué par quatre travées. Les deux travées centrales ont 60 mètres de portée et les deux travées de rive, 49 mètres chacune. Sa hauteur est d’une quarantaine de mètres.
La ria de la Penzé formait alors une séparation significative entre les cantons de Taulé et de Saint-Pol-de-Léon: il fallait soit emprunter un bac au Passage de La Corde, (le Pont de la Corde ne fut construit qu’en 1927), soit gagner le hameau de Penzé, très en amont, pour franchir la rivière. Aussi le Conseil municipal de Saint-Pol avait-il pensé que l’on pourrait aménager le viaduc de telle façon qu’il puisse en même temps permettre le passage des piétons et des charrettes, et proposa une subvention. Mais ce projet ne fut pas retenu.
Deux gares, à Saint Pol de Léon et à Roscoff, et deux stations Taulé-Henvic et Plouénan étaient prévues. Mais les deux arrêts supplémentaires, dont celui de Henvic, au point le plus rapproché de Carantec, sont réclamés. C’est comme cela que la gare de Taulé, reçoit comme nom gare de Taulé-Henvic, et que la Halte de Kerrichard devient la gare de Henvic-Carantec.
L’arrivée du premier train et
l’inauguration de la Gare de Henvic Carantec, et ci-dessous…
…le dernier TER est enlevé des rails
Dans son étude, M. Chauris précise la nature et l’origine des pierres de construction. Ses investigations permettent de mieux saisir l’impact que la construction des chemins de fer a eu, pendant un laps de temps limité, sur l’activité extractive, non seulement locale, mais même régionale.
« L’apogée du trafic ferroviaire se situe entre les années 1957 et 1981. Certains jours, jusqu’à 500 wagons de marchandises empruntaient la ligne… Mais, vers les années 80, la concurrence de la route entraîne une chute vertigineuse du trafic. Quant au transport des voyageurs, il n’est plus assuré aujourd’hui que par quelques autorails, avec un seul arrêt (à Saint-Pol) entre Roscoff et Morlaix, alors que jusqu’en 1985, il était possible de gagner directement Paris au départ de Roscoff…
Pendant des années, on a vu passer plusieurs fois par jour cet autorail « Picasso »
Le pont, tel qu’on le voit aujourd’hui.