L’anxiété à l’arrivée des Allemands
Yves Nicolas nous fait part de ses souvenirs de cette période, qu’il appelle « le mois noir » de juin 1940.
« En ce mois de juin 1940, j’avais 14 ans et faisais partie des 500 pensionnaires du Collège du Kreisker à St Pol de Léon. Mais, compte tenu de la tournure des évènements nationaux, cet établissement avait fermé ses portes dès les premiers jours du mois, et des vacances anticipées m’avaient ramené à la douceur du foyer familial en notre petite ferme de Kervor.
A Henvic, la situation n’était pas reluisante, le niveau de vie était comparable à celui d’un pays sous-développé. Les fermes isolées, desservies par des chemins cahoteux et malaisés à cause de leurs profondes ornières, ne possédaient ni électricité ni eau courante. Le dur labeur quotidien parvenait à peine à assurer la survie d’une famille souvent nombreuse. Aussi, le moral était-il au plus bas, et l’inquiétude d’autant plus forte que la communication était quasi-inexistante, son seul support étant le bouche à oreille créateur de rumeurs qui se répandaient comme le flux aux grandes marées.
La source officielle d’information était « la pierre » (ar men), autrement dit le mur du cimetière jouxtant la vieille église : c’est là que le dimanche matin, à l’issue de la grand messe, se juchait le secrétaire de mairie dans le rôle de crieur public. Alternant breton et français, il proclamait les annonces officielles et diverses communications de la municipalité, mais bien souvent celles-ci arrivaient passablement déformées aux confins de la commune.
L’église était le point de ralliement du dimanche matin. Notre vieux recteur, Eucher Corre, était un homme passionné, fougueux et ardent patriote. Je me souviens presque mot pour mot de son dernier sermon, reflet de l’anxiété générale. Utilisant la familiarité de la langue bretonne, il haranguait ses ouailles : « Le bruit court dans la paroisse, disait-il, que les Allemands seraient à Nantes. C’est absolument faux et vous confondez avec Mantes, ville de la région parisienne. D’ailleurs, croyez-moi les Allemands seront arrêtés sur la Seine, comme ils l’ont été sur la Marne en 1914, et jamais un de leur soldats ne viendra profaner notre sol sacré de Bretagne ». Quelques jours plus tard les Allemands seront à Henvic et notre vieux curé s’alitera pour ne plus se relever. Il mourra un mois plus tard, de chagrin disait-on, et cette forte personnalité souvent controversée fut aussi beaucoup pleurée.